Phasmes… «Quand voir, c’est perdre ».
Parfois on me demande ce que je lis ou relis en ce moment… Donc je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager ce petit bonheur, texte lu et relu… D’un auteur que j’aime retrouver de temps à autre.
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« Bien sûr, l’expérience familière de ce que nous voyons semble le plus souvent donner lieu à un avoir : en voyant quelque chose, nous avons en général l’impression de gagner quelque chose. Mais la modalité du visible devient inéluctable — c’est-à-dire vouée à une question d’être — quand voir, c’est sentir que quelque chose inéluctablement nous échappe, autrement dit : quand voir, c’est perdre.
Tout est là.
(…)
Tel est le phasme, qui n’est pourtant pas un fantôme. Regardant son décor, le “fond” vide d’animal, j’ai dû comprendre à un moment — moment où l’incertitude s’effondra, mais avec elle toute certitude aussi — que la vie de cet animal, le phasme, était ce décor et ce fond mêmes. J’ai peine à m’expliquer. D’habitude, lorsqu’on te dit qu’il y a quelque chose à voir et que tu ne vois rien, alors tu t’approches : tu imagines que ce qu’il faut voir est un détail inaperçu de ton propre paysage visuel. Voir les phasmes apparaître exigea le contraire : dé-focaliser, s’éloigner un peu, se livrer à une visibilité flottante, voilà ce que j’ai dû faire à peu près par hasard, ou d’un mouvement anticipant la peur. Mais les deux pas de recul me placèrent d’un coup devant l’évidence effrayante que la petite forêt du vivarium était elle-même l’animal censé s’y cacher.
(…)
Le phasme a fait de son propre corps le décor où il se cache,
en incorporant ce décor où il naît. »
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(Phasmes – essais sur l’apparition de Georges Didi-Huberman).