Archive for the 'E’ville fragments' Category

L’humilité est la première chose que tu apprends dès le début … (I)

Si tu savais ?
Arnachés de trente kilos de bagages chacun
les voilà partis…
Moins de Soixante ans à eux trois…
Des lumières plein les yeux
Ils étaient en sueur
Roulant
Pédalant
Ahanant
Soufflant
Montées
Faux-plats
Descentes
Collines
Remonter
Misère !
Une fois de plus dans les derniers feux du couchant…
Quand t’es à vélo il n’y a que des faux-plats et des montées !
Trois jours sans se laver.
La nuit tombait il faudrait encore dresser les tentes á la brune :
mal organisés en plus !
Peu d’endroits propices pour s’arrêter
Ils en avait marre de rouler.
Les 110 bornes de ce huitième Jour pesaient sur les genoux,
la nuque douloureuse, les cals aux mains ne suffisaient plus à amortir les chocs du guidon…
Encore un village annoncé…
Le garde champêtre de la veille leur avait fichu les boules avec son fusil chargé en pleine nuit…
à croire qu’ils chassaient le lapin aux phares
Les cons !
Lui et son chien.
Eux éclatés de sommeil à deux heures du matin,
avec leur trois tentes en cercle autour du feu mourant…
Leurs vélos attachés à une vieille souche,
n’en menaient pas large.
Finalement il était reparti…
Fier de son acte de bravoure dérisoire
et les mômes se rendormirent…
Pas très fiers, la pétoche au ventre.
« Des lapins aux phares »…
Non mais ! J’te demande !
Pas le choix.

Il était trop tard à présent…
La première ferme à gauche ferait peut être l’affaire…
Petit sentier cahotant,
un verger sur la droite…
Une senteur de lavande et de pomme…
Des gens semblant déménager…
Intro d’usage :
– ‘soir m’dame… Est ce que nous pourrions planter nos tentes dans les champs par là,
près du verger?…
Elle, la belle quarantaine, toisant ces gamin, sales comme des peignes :
– Faites, dans le verger même, si vous voulez ?…
Je suis expropriée…
C’est le dernier jour,
nous débarrassons les affaires pour demain…
Le grand départ…
Nous retournons en Alsace,
Monsieur Perdrix, notre voisin, nous accueillera cette nuit.
.

.
(à suivre).

Sur ses traces en ce jardin.


.
Des langues de ruisseaux et de rivières rougeâtres
s’allongent en affluents arachnides au sol.
La latérite, assoiffée, boit goulûment les eaux usées.
A la limite de la nausée
l’odeur des plumes mouillées
ébouillantées
arrachées
en cadence
par poignées
scandent le matin.
Ouvrir sous le croupion
éviscérer…
Les intestins glissent
dans d’improbables entrelacs grisâtres se confondants avec la pierre.
Cous, cœurs, foies, gésiers…
Vider les cailloux et le grain…
Avant de les ranger au fond de la cavité thoracique
assainie de ses boyaux.
Parfois, avec son chapelet allant crescendo,
une jeune pondeuse y passait, par erreur,
avec au bout deux ou trois oeufs formés,
presque prêts à sortir…
Il seraient pour la pâtisserie…
En ce samedi matin
Cinq, dix, quinze, vingt
on avait vidé une trentaine de poussins
plus une poule…
Pour la moambe du lendemain.
Les ailes croisées dans le dos
les pattes coupées et rentrées dans l’incision du fion…
Pour honorer la commande.
Les poulets,
rangés côte à côte,
attendaient le client.
C’était il y a longtemps.
.

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Récompense des plus grandes plumes
pour une coiffe de chef indien
… Le duvet irait dans des coussins.


.
C’est à ça aussi que ce jardin me faisait penser.
Pourquoi je raconte ça ?
.

Vendredi tu aurais eu quatre-vingt-huit ans.
Ne crois pas que je l’oublie…

Tout s’expliquait pour Artie…

Devant son incrédulité il lui montra l’écran…
Les feuilles,
en effet,
apparaissaient et disparaissaient
en cadence régulière
sur les grands noirs de ses huit planches…
(çà, c’est pour Anna et pour la d@me !)
Tout s’expliquait
(c’est dans le titre ! Suivez un peu voyons !)
Ces douleurs et pincements
à chaque histoire de coeur…
Ce sentiment d’effeuiller autre chose que la marguerite
à chaque histoire d’Amour…
Oui il écrivait encore le mot « Amour »
(ça vous étonne ?)
Avec un grand « A » qui plus est…
Et non avec un grand « tas »
comme se plaisait à le taquiner son beau-frère
jaloux de ses multiples aventures sans lendemain.
Le médecin lui dit :
nous sommes devant un cas exceptionnel,
monsieur Shaw
vous avez un artichaut à la place du cœur…
Le scanner est formel…
Et le traitement sera long.
.

Le vieux garagiste.


.
Couvre-feu.
Quinze raflés.
Comme les autres,
tous blancs
sauf Ilunga,
son mécano,
mort aussi.
Lui se souvenait de cette nuit noire.
Ce froid ravivait ses vieilles blessures.
Pangolin bizarre et hagard
Nu
Fuyant
Sur les coudes
Sur les genoux
Douleurs
Ramper
Ramper
Loin du massacre
Le grand Grec leur résistait
à deux ils s’y étaient mis
Crosse
Coupe-coupe
Battus à mort
Plus de chevilles
Ni de poignets
Cassés
ou plutôt
broyés dans ce camion
Route
Forêt
cours d’eau
voie ferrée
jeep
des militaires aussi
L’avaient emmené
au dispensaire de Lubum.
sans savoir ce qu’il avait vu
Un blanc de soixante-dix ans
nu et à quatre pattes
c’était pas ordinaire…
Ils le feraient parler à l’hosto
Quatorze morts
Seul lui…
Rescapé.
Grâce au grand Grec…
Ami de la famille.
Pour se souvenir.
Pour se souvenir
(bis)
… Et vous me demandez pourquoi ?
Ils sont partis en Août ’67
pour ne plus jamais revenir
(sauf un, il y a peu)
Leurs trois gosses
onze ans,
trois ans
et six mois.
Pour ce souvenir.
Pour ce souvenir
(bis).

Un mur trois quart.


-El’chef Laumann…/… Jodoigne…/… à Peutie…/… un mur trois quart…/… camionnettes vé-oué…/… douze véhicules…/… règlements…/… tout par coeur…/… Importance de l’information.
Dans ce bureau exigu
affublé du plus Tartuffe des deux…
Celui-ci soliloquait,
ressassant toujours les mêmes histoires
Leurs histoires au chef et à lui dans une autre caserne
du temps de Peutie,
quinze cents mots de vocabulaire,
forcément la syntaxe à ce prix là,
laisse à désirer…
L’autre est en congé aujourd’hui,
(deux mille mots que je l’appelle )
il marie sa fille,
et en plus ça se reproduit ces trucs !
je lis “le voyage au bout de la nuit”
sous le bureau,
m’enfonçant davantage dans la grande muette,
faisant semblant de l’écouter en bon chien d’arrêt,
puis je brise le silence (c’est intelligent et susceptible malgré tout ces animaux là,
faut pas les avoir à dos ! )
-Chef?
-Oui Marc?
-quand le chef n’est pas là
… Qu’il est malade ou qu’il marie sa fille,
c’est vous le chef alors?
-Oui Marc.
Content de ma petite diversion je me replonge dans Bardamu
en miroir du bouquin j’ai l’un des deux tarés devant moi
… Faire comme si j’étais plus bête qu’eux, que lui.
Y a du travail…
Des films de guerrr’ à rattraper,
une culture radio à revoir,
un univers de petites mesquineries à mettre au point pour détourner le minotaure,
des blagues de blondes et des troisièmes mi-temps de foot.
On apprend vite à être lâche et veule avec les petits caporaux… Chefs,
quand on est troufion
– Marc?
– Oui chef?
– à midi, quand t’iras à la cantine… t’iras brûler ce dossier ”top secret”
– Oui chef.
-… Et attention à ne pas le lire, hein ?!
– Ben non chef.
(silence)
– tu veux quand même voir ce qu’il y a d’dans ?
(re-silence)
– ben non vous venez de me dire que c’était top secret
– Aller! viens le lire, regarde (il ouvre la chemise)
je jette un oeil circonspect mais néanmoins suffisamment appuyé pour qu’il croit que ça m’intéresse au plus haut point: rien d’intéressant, des chiffres, des lettres, des références…
– t’as vu ?
-Quoi ?
-On ne comprend rien…
-Ben oui.
– C’est codé! y a pas de danger !
(il remet tout dans le classeur et claque l’élastique avec un petit air important).
… Etc.
Zangra sans bataille, il pose le dossier où la fin du monde est inscrite en langage codé à côté de mes petits tampons et cachets
Mais chef…
-il n’y a pas de « mais », on est au mois de Janvier…
Et pas au mois de Mai
çà aussi c’était une pierre angulaire de son esprit qui le propulsait dans les hautes sphères…
Le cerveau au point mort, le plexiglas terne dans le regard,
sûr de son effet il tétait distraitement une mouche invisible…
Sa bouche de grenouille achevait l’illusion.
Sûr de son savoir et de ses choix…
trop jeune pour faire la seconde der des der,
il aurait battu en retraite à la troisième…
La retraite ? il comptait les jours…
Petite victoire sur le terne calendrier de sa guerre personnelle

(Caporal-chef « Quinze cents mots » , ’81 ).

Une superbe petite VCF (volontaire féminine de carrière)
chauffeur du colonel,
entra en trombe dans le bureau pour sa feuille de route,
suivie de près par un autre caporal toutes gourmettes dehors,
Raybans de pilote, talons ferrés …
Une vraie caricature celui là, et méchant avec ça:
l’a fait les faits divers plus tard …
Filmé par Manu, dans “les amants d’assises” il n’en menait plus aussi large sur le banc des accusés… Braquemart en berne.
Pathétique et défait ils avaient, sa maîtresse et lui, estourbi à coup de revolver de service,
le mari de la dame.
Pas bien çà !
Alors? On a arrosé le cresson hier soir ?
demanda l’autre…
Leur posant la question à tous les deux..
A votre avis ? fit ce crétin de “braquemart hissé ho”
Et l’autre de continuer de téter son diptère…
Rêveur et salace, il se perdait dans le bouton à moitié défait de la VCF,
à coup sûr il bandait l’imbécile avec ce qui lui restait de limace dans le froc.

(Sergent-chef « Deux mille mots » , ’81 ).
Qu’ils étaient drôles mes chefs !

Texte paru dans les vases communiquants il y a quelques temps… Chez Juliette Zara.

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