Assise sur la chaise jambes ramassées entre les bras, elle les tient comme elle aimerait qu’on la tienne aussi, embrassée. Elle va et vient d’avant en arrière, se balance comme quand on s’ennuie, mais ne s’ennuie pas.
Les parents sortis, laissée là avec ses fantômes, elle a fui son lit et s’est parquée dans la cuisine. Elle berce la peur tapie dans sa glotte pour l’amadouer, car elle sait qu’elle en a pour la nuit.
Le linoléum noir strié de bavures est comme une mer à naufrages sous son île en formica bleu lavé et elle jure de ne pas y lâcher un pied au risque d’être happée par Eux. Rassemblés du monde entier devant la porte cochère, juste derrière tout près, tout prêts à bondir ou à se glisser en masse fluide par les fentes et les trous. Leurs visages sortent d’une flaque entre les marbrures du sol, en dessous de son radeau.
Ses yeux brûlent à force de chercher à les voir et un amas de fourmis narcose ses mains pétrifiées entre cuisses et mollets.
Le réfrigérateur impavide pousse sa turbine, elle sursaute quand il s’interrompt pour redoubler de puissance. Mais quand le ronron lancinant revient, les battements dans sa poitrine s’infléchissent aussi.
C’est dans la cuisine sous le néon clinique, à côté du buffet froid qu’elle se tiédit un peu, éraflée d’éclairs de maison pleine. La pile de calcaire résonne encore d’eaux clapotantes, le fourneau à l’air benoît promet des lendemains de cuisson, et le souvenir de plats entrechoqués et de placards visités s’accroche à un relent beurré qui lui vient aux narines, par intermittences.
Mais elle est froide de sueurs à nouveau, son cœur bat la chamade précipitant des tampons douloureux à ses tympans dans un raffut de grosse caisse. Elle donnerait sa boite à bijoux entière avec tous ses étages pour qu’à la place, les batteries de cuisine se mettent à teinter entre les mains maternelles !
Elle souffle sa trouille par les petits naseaux au sommet des genoux, un triangle chaud de savon et de lait lui revient comme une brioche. Elle recommence, minute après minute, et encore, sa berceuse autiste.
Les heures passent …
Se balancent…
Se balance d’avant en arrière sur la chaise en formica, la fille.
Soudain, des clefs dans la porte la font bondir, elle est déjà partie, au fond du couloir, vibrante, se jeter sur son lit pour inventer un lourd sommeil. Des bribes de mots parviennent à ses oreilles, l’ombre d’une tête connue passe dans l’entrebâillement de la porte. La chanson des voix amies tant attendue a pour de bon liquidé tous les monstres en quelques secondes.
Dans la maison remplie comme un bel œuf, sous l’édredon douillet retrouvé à la hâte, les petits fluides vitaux s’acheminent partout dans le corps éprouvé, mains tordues, pieds glacés, tête calebasse, nez bouché, yeux crevés, oreilles troussées, ventre aux couleuvres, poumons flétris, peau de dinosaure, cœur au bord du vertige, et un sommeil colossal anéantit la fille formica, bébé formidable.
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(texte de kouki, que je remercie Ô pas sage, et l’on peut lire ici ).