Archive for the 'fragments' Category

Si on te propose Obala, refuse ! excepté pour y rencontrer le fou.(I)


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Petit poste à 40 kilomètres au nord-ouest de Yaoundé ce trou perdu comptait quelques milliers d’âmes au milieu de la forêt vierge…
Autant dire que lorsque tu tendais la main dans la nuit noire (quelle drôle d’idée !) tu serrais la louche à un pygmée ou un gorille selon ton degré de chance.
A Obala fin soixante il n’y avait que trois ou quatre blancs :
le père de la paroisse, deux soeur franciscaines
tous trois Français et … Monsieur Devriend un Belge.
Devriend, père de trois enfants (et heureux en ménage,
selon l’expression consacrée)
pour une raison inconnue, avait été « parachuté » là pour y inculquer les base de la langue de Shakespeare au lycée du bled…
Quand on dit “lycée c’est beaucoup dire : quatre méchants parallélépipèdes rectangles en dur, de la tôle en guise de toit, et suffisament de hauteur sous toiture pour se sentir cuire à fur et à mesure de la journée…
La couche d’air chaud descendait…
Les têtes chauffaient au diapason.
Pas de fenêtres mais des briques ajourées…
Pas de portes non plus (à quoi auraient-elles servi ?)
Et puis comment les chèvres auraient-elles pu passer ?
je vous le demande, restons sérieux !
elles traversaient donc la classe de part en part,
non sans avoir commenté, au passage, de bêêêÊh réprobateurs,
le cours qui s’y donnait ;
parfois elles étaient suivies par un ou deux cochons zoophiles (groïnnng!) qui flairaient la bonne aubaine.
Ce petit monde vaquait alors de l’autre côté de la classe à la recherche de petite pousses vertes et tendres ou d’une quelconque pitance sous forme de mangues ou de patates douces…
Gare au pangolin (animal par nature craintif et timide mais distrait) qui passait par là…
Le premier élève qui le voyait se précipitait dessus et sans autre forme de procès le planquait attaché sous le banc : il y aurait du pangolin grillé à la « maison » ce soir.
Monsieur Devriend continuait l’explication de « La tempête »,
sans sourciller, et se disait que soixante étudiants par classe c’était un peu beaucoup,
passionnément, à la folie…
(Sa femme devait bientôt le rejoindre avec les mômes dans cet aimable foutoir).
Imperturbable, il était, monsieur Devriend ;
pour lui, l’enfer était ici bas,
c’était de plus en plus clair.
Swinburne, Woodworth, Hemingway, Shakespeare n’étaient là que pour détourner les soupçons.
En dehors d’être une “charmante petite bourgade”,
Obala possédait son fou.

Mais l’heure passe
ma chatte réclame ses croquettes
et Rididine s’impatiente…
Je dois aller au puit reprendre de la fraîche.
Vous repassez demain, pour la suite ?

(à suivre).

L’entomologiste.

Il a décidé de ne pas vous aimer, dites-vous.
Je ne m’inquiète pas pour vous, mademoiselle l’infernale, car chez les gens qui ont pour religion la Musique et l’Amour, les fêlures du coeur, saignantes et palpitantes, se vitrifient et deviennent des bijoux brillants.

Et moi, pauvre écrivain, je cherche un écrin à ce bijou : un texte dans lequel coucher ce chagrin d’amour sur un nid de coton.
Moi, le poète, je collectionne les sentiments et les mets dans des vitrines pour les exposer à la vue de tous. J’épingle les émotions et aligne les boîtes en les classant par espèce et par taille, comme les vertèbres d’un dinosaure.

Bien sûr, mes vitrines sentent un peu le moisi, une odeur doucereuse et âcre de pourriture laissée par des strates de sentiments morts déposées les uns sur les autres. Mais les objets qui y sont exposés constituent l’Histoire de l’Humanité.

Permettez-moi de me repaître de vos émois, de vivre dans votre poitrine par procuration, d’éprouver les coups sur votre peau si blanche.
Laissez-moi m’enivrer du parfum de votre interdit.
Moi qui n’ai plus l’âge d’être beau, moi qui n’étais pas beau à l’âge où les autres le sont, laissez-moi me consumer d’amour à votre place et cristalliser votre chagrin pour le sertir dans mes mots.

Et je veux recueillir là, au bout de ma plume,
les gouttes de douleur qui perlent à vos cils.

Alexandre
.
(texte de Madame de K. )

Variation IV.


Variation autour de 11°28’56.00″S & 27°28’38.27″E,
élévation 1257 m.

Dilemme… L’aime.

Il est évident que…
Le choix d’une image est très important :
en effet pour la légende
(prenons au hasard une bête phrase )
« Seul bémol,
il fallait franchir la clôture…
De mes sentiments
elle n’en saurait jamais rien. « 

si je prends cette image-ci

ou celle là

ou encore cette troisième

Je n’obtiendrai absolument pas le même résultat.
Dans le premier cas nous avons à faire, visiblement,
au bouillonnement du narrateur,
un chimiste obscur,
sous payé dans un laboratoire de province,
je vous laisse imaginer la suite…
Dans le deuxième,
à une paisible conversation dans un harem,
où le héros, réincarné en poulet,
prend sa plus belle plume pour lui faire un mot,
et enfin dans le troisième un monologue champêtre
s’est engagé entre l’héroïne et ses tomates,
le narrateur, à l’extérieur, passe son chemin
en imaginant tout ce qui aurait pu se passer
si…
Mais voila qu’une voiture passe et l’écrase,
ou encore il est trop lâche pour…
Ou bien…
RrrrooohhhHHH !…
Laquelle choisir ?

… C’est l’heure de vérité I


ça se passait dans une petite école communale à Schaerbeek début des années ’70…
Lors d’un court passage en Belgique.
Ilunga était le seul noir de la la classe…
Enfin ! quarteron pour être plus précis,
par sa mère.
J’étais son voisin de banc, et, arrivé en retard dans l’année scolaire l’instituteur avait jugé bon de nous mettre ensemble vu que j’étais en transit entre Congo et Cameroun.
Les créoles et les couleurs ça va ensemble: du haut de mes douze ans, j’avais flairé tout de suite le raciste rentré chez cet homme là…
De plus Ilunga était trois fois plus Belge que moi : lui était né en Belgique et y avait toujours vécu.
Moi j’étais le black dans le fond…
Black à part,
avec mes douze ans dans la savane à crapahuter après les singes!
… Là, c’était l’heure de vérité, bras croisés sur le pupitre,
le professeur demande à la classe de quand date, plus ou moins, le document qu’il montre sur l’estrade, « le couronnement de Napoléon » par David si mes souvenirs sont bons.
Un maximum de rouges, blancs et ors.
(le peintre avait dû avoir un prix sur les tubes,
pas possible autrement ).
… Silence inspiré des chères petites têtes qui s’intéressent très fort,
et de plus en plus,
à des particules invisibles, posées sur le bois du banc d’étude…
Des toutes-toutes petites choses sans importances
c’est fou ce qu’il y en a un nombre incalculable,
de ces choses là,
dans ces moments précis:
des particules élémentaires en somme !
Un oeil de veau au fond d’une coquille Saint Jacques entr’ouverte serait plus expressif…
Devant ce silence, le professeur réitère sa question :
– De quand date cette image ?…
Personne ne veut répondre ?
(en scandant les syllabes )
je vais désigner au hasard dit-il, laissant planer son regard sur les yeux de veau de plus en plus attentifs à ces animalcules décidément curieux,
forts curieux,
invisibles je vous dis
mais qui sont là,
l’oeil en pleure.
La Saint Jacques suinte sa peur liquide
C’est alors que son regard s’arrête sur son souffre douleur favori
Ilunga ?… Tu n’as pas une idée de la date ?
Ilunga ne bronche pas
il insulte silencieusement sa « particule élémentaire » comme un damné…
Cette chierie ne l’a pas protégé de l’oeil de lynx du prof…
Il devra trouver un autre exorcisme la prochaine fois qu’il y a une interro orale, au pied levé…
Ilunga, debout !… Répond à la question,
je ne vais pas te « mâââ’ger » fait-il avec l’accent,
comme pour le mettre à l’aise,
vieux reste d’un passé colonial discutable.
Dépliage de l’Ilunga, il était grand, le bougre, pour son âge.
. . .
Mais je vois l’heure qui tourne, il faut que j’y aille…
(à suivre ).
. . .

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