Archive for the 'collage' Category
Teresa.
Nous avons parlé bouffe essentiellement,
de l’Italie,
de Naples
et des Pouilles,
puis nous avons mangé.
Des pâtes, avocat, pistaches et poutargue, je crois.
Était-ce de la « Fregola al nero » ?
– Inoubliable la dégustation d’huiles au sésame, me rappelle-t-elle.
L’Italie, forcément, puisqu’elle vient de là,
des Pouilles plus exactement,
et Naples ?
A cause de la série « Gomorra »
avec Ciro, Patrizia, Pietro Savastano
et bien d’autres.
Cet art du non-dit, de l’escamoté dans la langue…
On ne comprend que deux scènes plus tard
ce que voulait dire ce silence
ce regard,
un peu comme ici.
La première rencontre avec Agnès Richter (1844-1918).
La première fois que je la vois,
elle est là,
sage,
en haut de l’escalier qui mène à l’étage de l’exposition
« La beauté insensée »
Une veste grise
en lin grossier,
comme celui utilisé dans les hôpitaux
pour les draps, les vêtements
brodé partout avec du fil de couleur.
Le cou et l’épaule garnis de tissu brun.
La veste légèrement sur-dimensionnée
pour un corps de petite taille.
…
Dans un all-over le tissu est envahi par le fil de couleur
écriture lézardée et serrée.
Intérieur comme extérieur sont recouverts
L’extérieur du manchon a été cousu à l’intérieur
comme retourné.
Sur les manches,
la police est lisible à l’extérieur.
Qui était Agnès Richter?
A-t-elle eu des enfants?
On lit les notes dans le désordre, malgré soi.
Les «enfants» apparaît en un seul endroit.
elle révèle qu’elle avait des frères et sœurs.
«Ma sœur» et «la liberté de mon frère? »
Un «cuisinier» est mentionné.
Ce qui était important pour elle?
«Cerises» et d’ailleurs «aucunes cerises »;
puis des références constantes aux vêtements.
Agnès Richter, couturière autrichienne, fut internée contre son gré dans un hôpital psychiatrique de l’âge de quarante ans jusqu’à la fin de sa vie, vingt-six ans plus tard. Là, elle s’employa d’abord à défaire toutes les coutures de la veste de son uniforme de lin gris pour ensuite la remonter, en 1895, à sa propre manière, sans vraiment ni dehors, ni dedans, après l’en avoir entièrement couverte, en cinq couleurs différentes de phrases brodées, si denses et enchevêtrées qu’elles en étaient devenues par endroit illisibles, elle seule détenant le secret de cette seconde peau tatouée pourtant obstinément offerte à la vue de tous.
Intime, obsessionnel et possessif… Apparaissent les mots « je », « mon », « enfant », »sœur », « cuisinière », »à travers mes bas blancs », »mon habit », »frère liberté », »né le 19 juin 1873″, « ma veste », « mes bas blancs … », « je suis au Hubertusburg / rez-de-chaussée », « soeur ».avec le numéro de la blanchisserie « 583 Hubertusburg » rebrodé pour mieux s’intégrer au flux de son propre récit.
La veste est aujourd’hui conservée, sous le numéro 793, à la fameuse collection Prinzhorn de l’université d’Heidelberg.
Sur un petit fond de Satie.
Renouons avec d’anciennes habitudes…
Un billet par jour, comme ça, pour le fun…
Parce qu’après tout,
une petite gymnastique quotidienne
entretient la forme.
Photographies n°7, 84, 147 et la 3 dans le désordre.
Ce matin je regardais trois ou quatre images de Nicole Garreau…
Je les lisais
plutôt
car elle ne les montre pas,
en effet elle les décrit.
J’aime cette façon qu’elle a de faire,
sans montrer,
comme quand tu te décilles les yeux au musée
afin de décortiquer une sculpture, un tableau ;
tu n’as que tes deux prunelles pour explorer la subtilité de la touche,
des tons,
les différentes couches et sous-couches,
l’avant,
l’après,
le temps,
les hésitations de la confection,
les repentirs,
les transparences,
les nuances…
Toute cette attention qu’il a fallu pour que ce tu lis aujourd’hui soit
si interpellant,
si universel.
Ou pas.
La lecture faite
tu prends un peu de recul et reconsidères la chose
recomposant le puzzle de tes impressions
de ces micros-instantanés
de ces parcelles de riens qui forment un tout afin que l’assemblage fasse sens.
Tu as pris du temps…
Tu as laissé du temps au temps,
puis tu passes à l’œuvre suivante
que tu as repéré bien avant d’un coup d’œil circulaire
attaquant l’entrée ou les entremets
avant le plat de consistance et/ou les desserts.
…
Photographie n° 7
La vieille dame se frotte les yeux : bien sûr, ces images ne sont ni classées ni annotées, mais aussi étrange que cela puisse désormais lui paraître c’est bien elle sur ce cliché. Elle peut le jurer. Elle il y a longtemps, elle « avant ». Mais avant quoi ? Avant la vieillesse, la fatigue, la résignation ? Avant la sérénité de celle qui arrive au bout ?
Elle ne saurait dire la date exacte ; elle sait seulement que c’est une photographie du tout début de ces années-là — des brèves années d’envols et de chutes rapprochés. C’est une photographie rectangulaire, de format 9 x 13, avec les couleurs assez peu tranchées des films Kodak® de cette époque. Nous sommes à l’aube des années 1980. Après mai 1981 et avant mars 1983, certainement. Nous sommes persuadé(e)s que le Grand Soir est arrivé. Action Directe n’est pas encore interdite ou vient juste de l’être. Tonton ne nous l’a pas encore mise à l’envers en suivant les traîtres Rocard et Delors. L’air est à l’aventure.
Même si elle les mélange un peu entre eux, elle se souvient de ces voyages. Des expéditions à deux, trois ou quatre personnes parfois ; seule souvent. De ce qui déjà, malgré son relatif jeune âge, faisait office de dernier combat. Elle se souvient du Gris de Boulaouane, elle se souvient des Mercalm® dont il fallait enlever la petite pellicule colorée, elle se souvient des buvards, elle se souvient des enveloppes d’herbe. Elle se souvient des routes au bord desquelles elle déambulait, nez au vent, ou sautant d’automobile en camion, de plan glauque en utopie, sans bien réaliser que la « galère » qu’elle était alors si souvent persuadée vivre serait, bien des décennies après, une petite madeleine. Sa madeleine.
Sur l’image la canadienne — la vieille canadienne couleur de terre — est plantée sur un carré d’herbe, au bord de la Seine, dans une banlieue plutôt chicos éloignée de Paris. C’est l’été (donc 1981 ? 1982 ?). Il y a sans doute des péniches au loin mais le faible piqué de la photo ne permet guère d’être plus précise quant aux arrières-plans. Sur le devant de l’image, dans ses habits informes la fille assise près de la tente pourrait avoir n’importe quel âge entre quinze et trente ans, et accoutrée ainsi, si l’on ne regarde pas attentivement l’image, il paraît même difficile de lui donner un genre. C’est un riverain qui, prétextant une « révélation », l’avait photographiée là, et était revenu le surlendemain lui donner un tirage. Elle savait ce qu’il espérait en échange, mais il n’eut rien d’autre qu’une vague promesse, un discours pseudo-maoïste et une taffe sur un pétard. Qu’en avait-elle alors à cirer, de ses photos ? Qu’est-ce qu’un type comme lui comprenait aux filles comme elle, à la route, à la Révolution ? Que savait-il d’une perdition en devenir, d’une perdition qui persistait à taire son nom ?
C’est drôle. Elle avait donné rendez-vous à une amie qui n’était jamais venue et elle était restée là à l’attendre, durant quelques jours. Quelques jours passés à dessiner, à faire la manche, à aller tout dépenser au bistro du bout des berges, à accorder des sourires pour quelques bières supplémentaires.
C’était moche. C’était beau.
C’était cette photo.
Et la Révolution ? Bah elle n’eut jamais lieu.
(Nicole Garreau).