Hortense, il y a des mûres.
Lubudi, le 21 Janvier 1948.
* * *
Je n’ai pas aimé, cette nuit, vous lire
le courrier est arrivé avec deux semaines de retard,
cette version des choses sur mon silence
mur chagrin face au mur de silence
mur des lamentations face à mur d’indifférence
si c’était pour me sortir de cette bulle d’aphasie
cette apnée de chagrin,
c’est réussi!
après cette fin de non-recevoir, vous voudriez que je me répande en larmes au sol, pour vous montrer combien j’ai mal de vous.
Désolé de vous décevoir, les raisons qui vous font rester en Europe, vous regardent et je les accepte… Mais ne me demandez pas l’impossible.
J’ai choisi cette vie en Afrique,
cette Afrique qui « nous » tend les bras,
et, vous ne voulez pas m’y rejoindre, soit!
séparons-nous, vu que tel est votre désir, vous me dites que vous garderez l’enfant…
Les juges vous donneront raison et j’en serai quitte pour une pension alimentaire jusqu’à sa majorité,
si tout va bien.
Nous sommes en 1948, cette terre a besoin de suppléments d’âmes pour se développer,
j’y enseignerai ce que je sais.
Après cette guerre qui nous a volé notre adolescence,
je ne veux pas reconstruire en Belgique…
Je désire me reconstruire loin de cette terre qui m’a pris tant d’être chers.
Je n’y ai plus d’amis…
Chers disparus dans les camps.
Chairs disparues…
Et la vôtre maintenant.
Ne me demandez pas de revenir et encore moins de vous écrire;
le continent noir vous invite et vous faites la sourde oreille;
restons en là de cette correspondance vaine,
juste bonne à alimenter la défense de votre avocat.
Plutôt que d’explorer un continent vous préférez l’alcôve de votre maison parentale, de la cave au grenier fouillez les photos de vos souvenirs et affichez cet air de mater dolorosa qui vous sied à merveille, j’ai tous les torts, je sais, vous ne pouvez pas comprendre… Doublement déchiré par cette rupture et ce déracinement que je m’inflige, ne me rejoignez pas puisque telle est votre volonté.
L’humeur vagabonde je m’en vais cueillir des mûres,
il paraît que ça pousse par ici.
Ou sont-ce des fraises?
L…
ps: je vous joins une copie de ce texte que nous avions découvert ensemble, lors de cette nuit folle à Liège
(Francis Ponge) « Le Parti pris des choses », 1942.
Madeleine préfère le lilas.
Très beau texte, même si j’aime les mûres et les bombix du mûrier.
Moi non plus je n’ai pas aimé vous lire
Vous me faites de la peine avec vos histoires.
Votre chagrin ne m’intéresse pas
Pas plus que votre silence.
D’ailleurs voyez
Vous me vouvoyez encore
malgré ce que nous avons vécu
Qui nous a tant rapprochés.
Parfois je me demande sur quel
Joli nuage vous êtes ?
Oui je fais la sourde oreille
Et vous jouez au muet !
Je vous aime pourtant tel
Que vous êtes, ne changez rien
Mais je ne vous rejoindrais pas
Car j’ai autant de raisons
Valables et inexplicables
Pour rester ici
Dans mes alcôves austères
Que vous en avez pour
Vagabonder dans votre nouveau pays.
Allez donc cueillir vos mûres
Ne les laissez pas pourrir
C’est ce qui arrive souvent
Quand on ne les mange pas
Tout de suite .
pour le reste soyez heureux…
……etc….etc…. je me suis permise , je me suis bien amusée , j’espère que ça ne te dérange pas Luc , oh j’ai juste oublié de parler de la pension 🙂
@L°: quand je vais chez la fleuriste, je n’achète…
@if6:… Pour ce qui est de la pension, j’ai toujours été généreux, ce gosse ne manquera de rien.
C’est arrivé à un ami très cher, mais il n’écrivait pas de poèmes… et il a payé la pension !
On peut dire (très joliment) ce qu’on veut, si on reste en Afrique c’est parce qu’on y a, sans le savoir, plongé ses racines. Mais qui le comprendra, sinon les exilés dans leur propre pays ?
Je voudrais bien répondre un truc à ce que dit Mimifa,je ne sais pas trop quoi dire sur les racines, certaines personnes sont bien installées dans leur vie , dans un pays « stable » et ne peuvent même pas imaginer devoir un jour quitter leur pays, leur maison etc…
bien que je ne fasse pas partie de ce genre de personnes, je comprends que cela touche au plus profond et qu’une femme (en 1948 ) n’ait pas eu envie de suivre. Justement par amour… peut-être laisser l’autre vivre sa vie sans lui poser de problèmes est une solution. Je ne sais pas. J’ai vécu à l’étranger et je me sens bien partout mais bon, la question des racines est douloureuse car on ne reste dans un pays -que si on te permet d’y rester- et la politique parfois rend les choses bien difficiles … et finalement c’est en vivant à l’étranger qu’on se sent le moins en exil. Je dis un peu des bêtises , certainement pas très compréhensible ce soir (j’ai bossé all the day, et je veux aller vite alors..)… allez bonne soirée à vous.:)=
@Minimifa:… Je crois qu’après la guerre, ce continent en attira plus d’un, justement pour y refaire leurs racines, perdues à jamais en Europe.
@if6: à travers les lignes, on peut imaginer…
C’est un choix que je ne m’explique pas encore tout à fait…
Pourquoi cette personne ne vint jamais là bas,
mystère et boule de gomme,
je ne me l’explique pas encore tout à fait…
Et l’autre refit sa vie avec… Ma mère.
Je ne demande pas si c’est issu d’une « vraie » correspondance. On va encore me dire que je suis curieuse! ;-))) Mais je garde la question dans un coin de ma tête…
@Ephedra: petite curieuse! il faut savoir lire entre les lignes… Ici tout est fait à la main!
Comme toujours, émerveillement.
Plus bas ou plus haut, je ne sais plus, l’orchestre est encore un bout de poésie à lui seul.
@Popelina:… Muito obrigado!