Sur la jambe.
Dans le cadre des « Vases communiquants » je reçois Cécile Portier tandis que j’écris quelques mots chez elle.
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Sur la jambe.
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Certains petits chiens très affectueux viennent en jappant quémander qu’on les flatte, qu’on les gratte. Vous leur accordez bien volontiers la caresse fruste qu’ils espèrent : on n’est pas chien, on sait ce que c’est. Vous voyez alors les yeux se mi-clore, la petite langue rose se suspendre en plaisir haletant. Vous êtes attendris : cette jolie petite boule de poils. Et puis vous passez à autre chose.
Par exemple vous reprenez goulu cacahuètes olives, vous félicitez la maîtresse de maison pour son corsage seyant son singe savant son gigot saignant, vous réalisez par devers vous, dans le flottement des conversations, que vous avez la jambe lourde et vous pensez à ces jours de semaine, où le cliquetis des pas de ces innombrables, dont vous êtes, résonne sur le parvis, aiguilles à tricoter le maillot de nos inachèvements, car bien sûr nous sommes éternels nouveaux nés que la contrainte préserve des luxations et gauchissements menaçant nos âmes molles, alors nous cousons, nous cousons gentiment pour rétrécir l’espace imparti et procéder plus aisément à la filature d’une idée, laquelle, quelle importance, pourvu qu’on la tienne, qu’elle nous tienne, mieux vaut petons petits qu’hernies. Que ferions-nous d’ailleurs de nos vacances ? Ce pensant, tenté de tâter sous la nappe votre mollet endolori tandis que les convives devisent sur le fait maintes fois prouvé que depuis toujours, la vraie vie n’est plus ce qu’elle était, vous constatez aussi que vous traînez toujours ce mal lancinant instillé dans chacune des nervures de la tête, migraine chancelante et lâche qui mérite moins qu’une aspirine mais requiert néanmoins, en locataire exigeante, toute votre attention, vous vous enquerrez donc de l’endroit où se laver les mains car en un subtil déplacement que la politesse oblige à taire, un besoin pressant s’avouant mieux qu’une céphalée peu mondaine, un peu d’eau fraîche sur les tempes vous ferait du bien certainement, vous sollicitez la permission pour vous
– lever de table ? bien sûr, je vous en prie, c’est au fond à gauche comme d’habitude et c’est justement quand vous posez votre serviette au côté droit de l’assiette et entamez le geste de ramener le genou vers vous que vous réalisez que le clebs est toujours là, frétillant, accroché à votre jambe et que non content de vous la serrer comme sa dernière planche de salut, ce salaud a juté sur votre pantalon.
De la même manière : on n’écrit pas dans le dos, mais bien, comme les petits chiens, sur la jambe des gens. Pour finir la comparaison, comme il est dit qu’on doit finir même les mauvaises purées, entre faire un enfant dans le dos et son plaisir sur la jambe (d’autrui, dans les deux cas), il est nécessaire de rappeler la différence entre une métaphore et une parabole, à savoir que même avec la meilleure volonté du monde les enfants au sens propre ne naissent pas au dos des hommes mais bien au ventre des femmes, tandis que ceux qui s’inspirent n’admettent jamais le propre mais bien toujours le figuré, et les livres, même les bons, ne sont pas de chair, même triste. Je dis ça pour ceux qui veulent toujours et à tout prix brûler quelque chose : qu’ils brûlent les livres. Cela, sans doute, en soulagera certains qui commençaient à avoir la jambe ankylosée.
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(Cécile Portier).
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Les autres échanges dans le cadre des « vases communiquants » sont ici…
Cela fait dix-neuf paires de liens…
Si je n’ai oublié personne.
Bonne lecture,
et bonnes découvertes.
France Burghelle Rey et Morgan Riet
Anthony Poiraudeau et Loran Bart
Anna de Sandre et Francesco Pittau
Mathilde Roux et Anne-Charlotte Chéron
Michèle Dujardin et Daniel Bourrion
Jean Prod’hom et Arnaud Maïsetti
Christophe Sanchez et le coucou
Antonio A.Casili et Gaby David
Michel Brosseau et Christine Jeanney
Matthieu Duperrex et Pierre Ménard
Ana jardin sauvage et Piero Cohen-Hadria
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C’est bien ces histoires de chiens … je veux bien venir à votre petit sauterie. L’endroit est très beau, accueillant et raffiné. Et la lumière …
Demander à sortir de table… On pourrait faire un recueil de nouvelles sur le sujet !
Je vous aime bien dans ce registre, Cécile.
la chute élève la pensée. Mais le décor et les acteurs sont savamment décrit avec quelques belles trouvailles : se mi-clore est un verbe à garder.
Un de vos textes que je vais garder, Cécile! Si bien vu, si bien dit! C’est aussi vrai qu’un dîner en ville! … J’ai eu plus de mal avec la fin mais vous me connaissez j’ai le QI en pente douce… (J’aurais des histoires de chien à table mais irracontables sans un talent comme le vôtre!)
Z’avez pas vu Mirza ? Je sors 🙂
Je n’ai rien à dire, ou pas grand chose.
(ce pas grand chose est « ça m’a plu, vachement »)
Extra la fin! Et le début aussi, tiens (sans parler du milieu)
Je ne m’attendais pas à la fin en parabole. Style raffiné de Cécile avec ce qu’il faut de petits écarts de langage 😉
(à Luc, une coquille s’est glissée dans le lien vers Enfantissages > 2 s)
@Enfantissages : corrigé !
prédilection pour le milieu et ce que les dents d’un petit chien déclenchent comme pensées
@ tous : merci pour vos visites enjouées. A tout seigneur tout honneur, je précise puisque le grand Luc dans sa modestie ne l’a pas signalé, que les belles photos lui reviennent. Sait toujours me surprendre, ce Luc. J’essayais, quand je lui ai donné ce texte, d’imaginer la tête qu’il ferait au petit chien, j’avais un peu d’angoisse en voyant déjà l’image animée, et voilà, on se retrouve avec quasiment un tableau de la Cène, et Judas n’est même pas sous la table. Ouf. Beau pas de côté, merci Luc.
comprends pas, j’ai mis un comment et il est passé où? Sous la table avec le chien peut-être. J’y disais que les belles photos, pas de moi, mais de Luc. Que Luc toujours sait surprendre, je voyais déjà le petit chien haletant en image animée, il nous peint la Cène. Trop fort ce Luc
« tricoter le maillot de nos inachèvements » : est-ce une métaphore ou une parabole ?
Ou une cacahuète avalée de travers ?
Petite racine, vous aussi êtes zenvoutée par mon Luc?!!! N’en croyez rien!!! Depluloin en personne, moi-même, moyennant finance peut vous dézenvouter!! (C’est un petit commerce africain que nous avons monté entre nous. Faites comme si.)
Je reprends : Depluloin est le chef du blog à Luc. Est-ce bien compris?
(Donc, Petite Racine, pardonnez-moi mais il y a eu un trouble informatique.)
Le trouble est il seulement informatique? ????????
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